Inédits

141Re://T7190[DoraLoen/Tzara - Pension de Dora - Prologue] post. 17-10-17 15:12:10

© Photo Hélène Dumas Sutton Propriété NC de Gaspé

La Pension de Dora

 

PERSONNAGES, par ordre d’entrée

 

Wolfgang Amadeus MOZART

 

Frédéric CHOPIN

 

Madame DORA LOEN

 

Gioachino ROSSINI

 

UN CHANTEUR D'OPÉRA

 

UNE CHANTEUSE D'OPÉRA

 

Jacques OFENBACH

 

Un sans-abri

 

Et GEORGE SAND à la toute fin.

 

 

© Claudia Ynis 2015

 

 

 

 

 

 

 

PROLOGUE

 

 

 

Le décor représente le hall d'entrée, le salon et la salle à dîner de la maison de Dora Loen.

Un grand espace est réservé aux musiciens de l’orchestre, au-devant duquel il y a un piano. Un mobilier forme le coin salon. Deux issues – la première donne sur la porte d’entrée principale, la seconde laisse deviner un escalier qui conduit à des chambres – on verra que cette maison comporte plus d’un étage.

 

La scène se passe le soir du 31 décembre.

 

Entre Mozart. Il se penche et ramasse le courrier, à la manière de quelqu’un qui attend quelque chose en particulier. La pile est assez abondante. Il fait le tri, dépose certaines lettres sur une console, se permet de jeter des circulaires et autres enveloppes qu’il juge négligeables dans une déchiqueteuse à côté d’un bac à recyclage. Enfin, il saute de joie:

 

MOZART – Ah! la voilà enfin!

 

Entre Chopin.

 

MOZART, à Chopin – Ça y est! Ma revue! Elle est arrivée!

 

CHOPIN – On vous envoie du courrier ici?

 

MOZART – Au nom de Madame Dora Loen, bien entendu. “Les Amis de l’Art Vocal” trouveraient plutôt étrange que Wolfgang Amadeus Mozart fasse partie de leurs abonnés. Et vous savez comme moi que Madame Loen nous demande la plus stricte discrétion. Personne ne doit savoir qui habite ici. Des pensionnaires comme nous, ça ne court pas les rues.

 

CHOPIN, feuilletant la revue – Qu’est-ce qui vous intéresse dans tous ces potins?

 

MOZART – Des potins! Mon cher Frédéric, ce sont des “témoignages” de gens cultivés qui ont en commun la passion de la musique classique. Tenez ! Ici, on parle de moi. Je n’ai pas sitôt tourné deux pages qu’il est question de moi! Mais… attendez… Oh! Voilà un encart qui devrait vous faire plaisir: “La Société Chopin de Varsovie a fait la récente acquisition d’un piano Pleyel Monceau satiné couleur bois de rose au prix de vingt mille quatre cents euros sur E-Bay. ”

 

CHOPIN – Vous croyez que ça m’intéresse, moi, des articles de ce genre? Je n’aime pas beaucoup le capitalisme, aussi bien vous le dire. Et encore moins cette époque de crédit et d’endettement dans laquelle tout le monde vit. L’autre jour, j’ai vu quelqu’un acheter mon deuxième concerto pour piano avec des points récompenses. Quelle insulte à la volupté!

 

MOZART – Oui je sais. On fabrique des violoncelles en fibre de verre et les touches des pianos sont en plastique.

 

CHOPIN, découragé – À quand la prochaine diligence pour Paris? 

 

MOZARTQuoi? Oh, Chopin, vous n’allez pas nous quitter? Ça me briserait le cœur. Je suis tellement amoureux de votre musique! Elle parle du chagrin et de la joie, et de ces sentiments qui hésitent toujours entre les deux. Depuis que vous habitez cette pension, j’ai trouvé mon âme-sœur.

 

CHOPINEt moi j’ai toujours aimé Mozart. Du reste, qui voudrait de moi ailleurs qu’ici? La vulgarité me résiste. La noblesse et l’aristocratie ne sont plus ce qu’elles étaient. Et puis, je n’ai pas vraiment envie de retourner au Père-Lachaise. Même si l’ange qui pleure sur ma tombe doit se sentir bien abandonné.

 

MOZART,  jetant des enveloppes dans la déchiqueteuse – Vous au moins, vous avez un cimetière. Moi, si je devais partir, je ne saurais même pas où aller.

 

CHOPIN – Qu’est-ce que vous faites?

 

MOZART – Ce sont des lettres sans importances. Madame Dora elle-même les destine au recyclage. Elle dit que les publicités ne méritent pas mieux que ça. (Tâtonnant une enveloppe.) Par contre, ceci, ça ressemble à des billets d’opéra.

 

CHOPIN – Qu’est-ce qui vous fait dire ça?

 

MOZART – Le pif! Et regardez: AVIS IMPORTANT.

 

CHOPIN – Depuis quand les billets d’opéra sont-ils livrés dans des enveloppes de compagnies d’électricité?

 

MOZART – Cela fait aussi partie de l’époque dans laquelle on vit. L’électricité finance la culture. (Il ouvre l’enveloppe, et se met à lire. Soudain, son expression change.) Oh mon Dieu…

 

CHOPIN – Quoi donc?

 

MOZART – “Ceci est notre dernier avertissement.  Selon nos dossiers, les montants ci-hauts sont dus depuis le 12 du 10 du 14 et totalisent la somme de … (Il écarquille les yeux et montre la lettre à Chopin). À défaut d’une entente entre Madame Dora Loen et notre bureau de recouvrement, nous nous verrons dans l’obligation d’interrompre les services suivants sans autre préavis à compter du 31 décembre prochain. Éclairage, téléphone, internet, chauffage…” Le 31 décembre? Mais c’est aujourd’hui!

 

CHOPIN – Qui aurait dit que Madame Dora Loen ne payait pas ses factures? À moins que … (ses yeux vont du courrier au bac de recyclage)…  Amadeus! Vous n’y seriez pas un peu pour quelque chose?

 

MOZART –  Moi? Que voulez-vous dire? (Comprenant soudain.) J’aurais détruit des factures?

 

CHOPIN – Imaginez les conséquences!

 

Mozart – Mon Dieu… La misère … La faim, la pauvreté… Madame Loen qui est si bonne pour nous tous … De quoi va-t-elle se nourrir ? Et si on nous coupe le chauffage, imaginez le froid… Nous, nous sommes habitués, nous avons vécu cela, mais elle, notre bienfaitrice, est-ce qu’elle va survivre?

 

CHOPIN – Laissez-moi réfléchir. À quelle heure revient-elle?

 

MOZART – Elle devrait rentrer d’une minute à l’autre. Elle est allée chercher un visiteur de marque, et n’a pas voulu nous en dire plus.

 

CHOPIN – Ce fameux visiteur… Qui ça peut bien être, d’après vous?

 

MOZART (haussant les épaules) – J’ai interrogé tout le monde. J’aime même demandé au cuisinier. Tout ce que j’ai réussi à savoir, c’est que Madame Loen et son visiteur de marque seront à chaque bout de la grande table du réveillon.

 

CHOPIN – Espérons qui y aura du courant… Quelle heure est-il?

 

MOZART – Il passe huit heures.

 

CHOPIN – Et moi qui suis en retard ! Je dois appeler les musiciens. Pourtant,  je n’ai pas vraiment le cœur à la joie… Allez voir s’il n’y a pas d’autres d’autres mauvaises nouvelles dans le courrier. Et surtout, ne faites plus rien disparaître.

 

MOZART – Ce serait pourtant la solution.

 

CHOPIN – Amadeus ! Nous n’avons pas le droit de détruire le courrier de Madame Loen. À présent que le mal est fait, pas un mot à personne. (À voix haute, pour appeler les autres musiciens) – Allons, messieurs dames, il est huit heures!

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ACTE I

 

 

SCÈNE 1

 

 

Chopin, Valse pour piano opus 69 No 1

 

Mozart se retire avec le courrier. Chopin se met au piano et joue la Valse de l’Adieu, sur laquelle les musiciens de l’orchestre sont gracieusement convoqués. Les femmes, vêtues de noir, s’attardent autour de Chopin; certaines ne peuvent résister au plaisir de frôler le compositeur dans une atmosphère de séduction. À l’arrivée de quelques hommes, des couples se forment et valsent entre le piano et l’orchestre où graduellement les instrumentistes vont s’asseoir en attendant l’arrivée du maestro.

 

Sur les derniers accords de la valse, ce dernier prend place au pupitre et se tourne vers Chopin.

 

CHOPIN – Ne faites pas attention à mon air mélancolique. L’heure est pourtant aux réjouissances, je le sais, et quand nous serons à table tantôt, je vous promets que je serai d’une meilleure compagnie. En attendant, reprenons, si vous le voulez bien, mes Variations sur un thème de Mozart. Je n’étais pas très satisfait de l’introduction hier soir. Allons-y doucement. Je vous dirai seulement deux mots: “inquiétude”, et “espérance”.

 

Chopin, Variations sur “La ci darem la mano” de Don Giovanni de Mozart.

 

Pendant l’exécution (introduction et variations à déterminer), Dora Loen entre silencieusement en faisant passer son invité de marque. Il s'agit de Gioachino Rossini. Les deux se recueillent en écoutant. Quelqu’un vient prendre les manteaux;  Dora et Rossini prennent place dans des fauteuils.

À la fin d’une des variations, on entend, de très loin, un coup de pistolet. Aussitôt, Mozart accourt.

 

MOZART, entrant – Voilà que ça recommence !

 

CHOPIN – Pour l’amour du ciel !

 

DORA LOEN Ah non ! Pas encore ?

 

MOZART – Ça provient de l’étage des Russes. Monsieur Glinka doit avoir un pistolet en réserve, parce que j’avais confisqué celui de Monsieur Borodine.

 

DORA– Combien de fois dois-je le répéter ? Il est interdit de jouer à la roulette russe chez moi ! Ce serait terrible si on venait à savoir qu’il y a des armes à feu dans ma maison.

 

MOZART – Il paraît que c’est une tradition le 31 décembre: vodka, et pif-paf ! Mais n’ayez pas peur, leurs pistolets sont chargés à blanc.

 

CHOPIN – Je vous dis qu’il en font du tapage ces Russes. En descendant tout à l’heure,  j’ai croisé Rimski-Korsakov. Il titubait tellement qu’il aurait pu débouler l’escalier.

 

MOZART – À quatre heures, ils étaient tous déjà soûls.

 

DORA – Messieurs, messieurs, allons mes amis. Exactement ce qu’il aurait fallu éviter pour accueillir le grand Gioachino Rossini.

 

Enthousiasme général.

 

MOZART – Ah !!! Rossini! Je vais enfin m’entretenir avec un compositeur qui a écrit quarante opéras!

 

 

 

Le reste de la pièce est en contenu protégé

Pour toute demande, veuillez communiquer avec la dépositaire de ce texte

à l'adresse courriel:

 

claudynist@dh-forum.com

 

 

141Re://T7190[DoraLoen/Tzara - Pension de Dora - Prologue] post. 17-10-17 15:12:10

© Photo Hélène Dumas Sutton Propriété NC de Gaspé

La Pension de Dora

 

PERSONNAGES, par ordre d’entrée

 

Wolfgang Amadeus MOZART

 

Frédéric CHOPIN

 

Madame DORA LOEN

 

Gioachino ROSSINI

 

UN CHANTEUR D'OPÉRA

 

UNE CHANTEUSE D'OPÉRA

 

Jacques OFENBACH

 

Un sans-abri

 

Et GEORGE SAND à la toute fin.

 

 

© Claudia Ynis 2015

 

 

 

 

 

 

 

PROLOGUE

 

 

 

Le décor représente le hall d'entrée, le salon et la salle à dîner de la maison de Dora Loen.

Un grand espace est réservé aux musiciens de l’orchestre, au-devant duquel il y a un piano. Un mobilier forme le coin salon. Deux issues – la première donne sur la porte d’entrée principale, la seconde laisse deviner un escalier qui conduit à des chambres – on verra que cette maison comporte plus d’un étage.

 

La scène se passe le soir du 31 décembre.

 

Entre Mozart. Il se penche et ramasse le courrier, à la manière de quelqu’un qui attend quelque chose en particulier. La pile est assez abondante. Il fait le tri, dépose certaines lettres sur une console, se permet de jeter des circulaires et autres enveloppes qu’il juge négligeables dans une déchiqueteuse à côté d’un bac à recyclage. Enfin, il saute de joie:

 

MOZART – Ah! la voilà enfin!

 

Entre Chopin.

 

MOZART, à Chopin – Ça y est! Ma revue! Elle est arrivée!

 

CHOPIN – On vous envoie du courrier ici?

 

MOZART – Au nom de Madame Dora Loen, bien entendu. “Les Amis de l’Art Vocal” trouveraient plutôt étrange que Wolfgang Amadeus Mozart fasse partie de leurs abonnés. Et vous savez comme moi que Madame Loen nous demande la plus stricte discrétion. Personne ne doit savoir qui habite ici. Des pensionnaires comme nous, ça ne court pas les rues.

 

CHOPIN, feuilletant la revue – Qu’est-ce qui vous intéresse dans tous ces potins?

 

MOZART – Des potins! Mon cher Frédéric, ce sont des “témoignages” de gens cultivés qui ont en commun la passion de la musique classique. Tenez ! Ici, on parle de moi. Je n’ai pas sitôt tourné deux pages qu’il est question de moi! Mais… attendez… Oh! Voilà un encart qui devrait vous faire plaisir: “La Société Chopin de Varsovie a fait la récente acquisition d’un piano Pleyel Monceau satiné couleur bois de rose au prix de vingt mille quatre cents euros sur E-Bay. ”

 

CHOPIN – Vous croyez que ça m’intéresse, moi, des articles de ce genre? Je n’aime pas beaucoup le capitalisme, aussi bien vous le dire. Et encore moins cette époque de crédit et d’endettement dans laquelle tout le monde vit. L’autre jour, j’ai vu quelqu’un acheter mon deuxième concerto pour piano avec des points récompenses. Quelle insulte à la volupté!

 

MOZART – Oui je sais. On fabrique des violoncelles en fibre de verre et les touches des pianos sont en plastique.

 

CHOPIN, découragé – À quand la prochaine diligence pour Paris? 

 

MOZARTQuoi? Oh, Chopin, vous n’allez pas nous quitter? Ça me briserait le cœur. Je suis tellement amoureux de votre musique! Elle parle du chagrin et de la joie, et de ces sentiments qui hésitent toujours entre les deux. Depuis que vous habitez cette pension, j’ai trouvé mon âme-sœur.

 

CHOPINEt moi j’ai toujours aimé Mozart. Du reste, qui voudrait de moi ailleurs qu’ici? La vulgarité me résiste. La noblesse et l’aristocratie ne sont plus ce qu’elles étaient. Et puis, je n’ai pas vraiment envie de retourner au Père-Lachaise. Même si l’ange qui pleure sur ma tombe doit se sentir bien abandonné.

 

MOZART,  jetant des enveloppes dans la déchiqueteuse – Vous au moins, vous avez un cimetière. Moi, si je devais partir, je ne saurais même pas où aller.

 

CHOPIN – Qu’est-ce que vous faites?

 

MOZART – Ce sont des lettres sans importances. Madame Dora elle-même les destine au recyclage. Elle dit que les publicités ne méritent pas mieux que ça. (Tâtonnant une enveloppe.) Par contre, ceci, ça ressemble à des billets d’opéra.

 

CHOPIN – Qu’est-ce qui vous fait dire ça?

 

MOZART – Le pif! Et regardez: AVIS IMPORTANT.

 

CHOPIN – Depuis quand les billets d’opéra sont-ils livrés dans des enveloppes de compagnies d’électricité?

 

MOZART – Cela fait aussi partie de l’époque dans laquelle on vit. L’électricité finance la culture. (Il ouvre l’enveloppe, et se met à lire. Soudain, son expression change.) Oh mon Dieu…

 

CHOPIN – Quoi donc?

 

MOZART – “Ceci est notre dernier avertissement.  Selon nos dossiers, les montants ci-hauts sont dus depuis le 12 du 10 du 14 et totalisent la somme de … (Il écarquille les yeux et montre la lettre à Chopin). À défaut d’une entente entre Madame Dora Loen et notre bureau de recouvrement, nous nous verrons dans l’obligation d’interrompre les services suivants sans autre préavis à compter du 31 décembre prochain. Éclairage, téléphone, internet, chauffage…” Le 31 décembre? Mais c’est aujourd’hui!

 

CHOPIN – Qui aurait dit que Madame Dora Loen ne payait pas ses factures? À moins que … (ses yeux vont du courrier au bac de recyclage)…  Amadeus! Vous n’y seriez pas un peu pour quelque chose?

 

MOZART –  Moi? Que voulez-vous dire? (Comprenant soudain.) J’aurais détruit des factures?

 

CHOPIN – Imaginez les conséquences!

 

Mozart – Mon Dieu… La misère … La faim, la pauvreté… Madame Loen qui est si bonne pour nous tous … De quoi va-t-elle se nourrir ? Et si on nous coupe le chauffage, imaginez le froid… Nous, nous sommes habitués, nous avons vécu cela, mais elle, notre bienfaitrice, est-ce qu’elle va survivre?

 

CHOPIN – Laissez-moi réfléchir. À quelle heure revient-elle?

 

MOZART – Elle devrait rentrer d’une minute à l’autre. Elle est allée chercher un visiteur de marque, et n’a pas voulu nous en dire plus.

 

CHOPIN – Ce fameux visiteur… Qui ça peut bien être, d’après vous?

 

MOZART (haussant les épaules) – J’ai interrogé tout le monde. J’aime même demandé au cuisinier. Tout ce que j’ai réussi à savoir, c’est que Madame Loen et son visiteur de marque seront à chaque bout de la grande table du réveillon.

 

CHOPIN – Espérons qui y aura du courant… Quelle heure est-il?

 

MOZART – Il passe huit heures.

 

CHOPIN – Et moi qui suis en retard ! Je dois appeler les musiciens. Pourtant,  je n’ai pas vraiment le cœur à la joie… Allez voir s’il n’y a pas d’autres d’autres mauvaises nouvelles dans le courrier. Et surtout, ne faites plus rien disparaître.

 

MOZART – Ce serait pourtant la solution.

 

CHOPIN – Amadeus ! Nous n’avons pas le droit de détruire le courrier de Madame Loen. À présent que le mal est fait, pas un mot à personne. (À voix haute, pour appeler les autres musiciens) – Allons, messieurs dames, il est huit heures!

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ACTE I

 

 

SCÈNE 1

 

 

Chopin, Valse pour piano opus 69 No 1

 

Mozart se retire avec le courrier. Chopin se met au piano et joue la Valse de l’Adieu, sur laquelle les musiciens de l’orchestre sont gracieusement convoqués. Les femmes, vêtues de noir, s’attardent autour de Chopin; certaines ne peuvent résister au plaisir de frôler le compositeur dans une atmosphère de séduction. À l’arrivée de quelques hommes, des couples se forment et valsent entre le piano et l’orchestre où graduellement les instrumentistes vont s’asseoir en attendant l’arrivée du maestro.

 

Sur les derniers accords de la valse, ce dernier prend place au pupitre et se tourne vers Chopin.

 

CHOPIN – Ne faites pas attention à mon air mélancolique. L’heure est pourtant aux réjouissances, je le sais, et quand nous serons à table tantôt, je vous promets que je serai d’une meilleure compagnie. En attendant, reprenons, si vous le voulez bien, mes Variations sur un thème de Mozart. Je n’étais pas très satisfait de l’introduction hier soir. Allons-y doucement. Je vous dirai seulement deux mots: “inquiétude”, et “espérance”.

 

Chopin, Variations sur “La ci darem la mano” de Don Giovanni de Mozart.

 

Pendant l’exécution (introduction et variations à déterminer), Dora Loen entre silencieusement en faisant passer son invité de marque. Il s'agit de Gioachino Rossini. Les deux se recueillent en écoutant. Quelqu’un vient prendre les manteaux;  Dora et Rossini prennent place dans des fauteuils.

À la fin d’une des variations, on entend, de très loin, un coup de pistolet. Aussitôt, Mozart accourt.

 

MOZART, entrant – Voilà que ça recommence !

 

CHOPIN – Pour l’amour du ciel !

 

DORA LOEN Ah non ! Pas encore ?

 

MOZART – Ça provient de l’étage des Russes. Monsieur Glinka doit avoir un pistolet en réserve, parce que j’avais confisqué celui de Monsieur Borodine.

 

DORA– Combien de fois dois-je le répéter ? Il est interdit de jouer à la roulette russe chez moi ! Ce serait terrible si on venait à savoir qu’il y a des armes à feu dans ma maison.

 

MOZART – Il paraît que c’est une tradition le 31 décembre: vodka, et pif-paf ! Mais n’ayez pas peur, leurs pistolets sont chargés à blanc.

 

CHOPIN – Je vous dis qu’il en font du tapage ces Russes. En descendant tout à l’heure,  j’ai croisé Rimski-Korsakov. Il titubait tellement qu’il aurait pu débouler l’escalier.

 

MOZART – À quatre heures, ils étaient tous déjà soûls.

 

DORA – Messieurs, messieurs, allons mes amis. Exactement ce qu’il aurait fallu éviter pour accueillir le grand Gioachino Rossini.

 

Enthousiasme général.

 

MOZART – Ah !!! Rossini! Je vais enfin m’entretenir avec un compositeur qui a écrit quarante opéras!

 

 

 

Le reste de la pièce est en contenu protégé

Pour toute demande, veuillez communiquer avec la dépositaire de ce texte

à l'adresse courriel:

 

claudynist@dh-forum.com

 

 

Inédits

141Re://T7190[DoraLoen/Tzara - Pension de Dora - Prologue] post. 17-10-17 15:12:10

© Photo Hélène Dumas Sutton Propriété NC de Gaspé

La Pension de Dora

 

PERSONNAGES, par ordre d’entrée

 

Wolfgang Amadeus MOZART

 

Frédéric CHOPIN

 

Madame DORA LOEN

 

Gioachino ROSSINI

 

UN CHANTEUR D'OPÉRA

 

UNE CHANTEUSE D'OPÉRA

 

Jacques OFENBACH

 

Un sans-abri

 

Et GEORGE SAND à la toute fin.

 

 

© Claudia Ynis 2015

 

 

 

PROLOGUE

 

 

Le décor représente le hall d'entrée, le salon et la salle à dîner de la maison de Dora Loen.

Un grand espace est réservé aux musiciens de l’orchestre, au-devant duquel il y a un piano. Un mobilier forme le coin salon. Deux issues – la première donne sur la porte d’entrée principale, la seconde laisse deviner un escalier qui conduit à des chambres – on verra que cette maison comporte plus d’un étage.

 

La scène se passe le soir du 31 décembre.

 

Entre Mozart. Il se penche et ramasse le courrier, à la manière de quelqu’un qui attend quelque chose en particulier. La pile est assez abondante. Il fait le tri, dépose certaines lettres sur une console, se permet de jeter des circulaires et autres enveloppes qu’il juge négligeables dans une déchiqueteuse à côté d’un bac à recyclage. Enfin, il saute de joie:

 

MOZART – Ah! la voilà enfin!

 

Entre Chopin.

 

MOZART, à Chopin – Ça y est! Ma revue! Elle est arrivée!

 

CHOPIN – On vous envoie du courrier ici?

 

MOZART – Au nom de Madame Dora Loen, bien entendu. “Les Amis de l’Art Vocal” trouveraient plutôt étrange que Wolfgang Amadeus Mozart fasse partie de leurs abonnés. Et vous savez comme moi que Madame Loen nous demande la plus stricte discrétion. Personne ne doit savoir qui habite ici. Des pensionnaires comme nous, ça ne court pas les rues.

 

CHOPIN, feuilletant la revue – Qu’est-ce qui vous intéresse dans tous ces potins?

 

MOZART – Des potins! Mon cher Frédéric, ce sont des “témoignages” de gens cultivés qui ont en commun la passion de la musique classique. Tenez ! Ici, on parle de moi. Je n’ai pas sitôt tourné deux pages qu’il est question de moi! Mais… attendez… Oh! Voilà un encart qui devrait vous faire plaisir: “La Société Chopin de Varsovie a fait la récente acquisition d’un piano Pleyel Monceau satiné couleur bois de rose au prix de vingt mille quatre cents euros sur E-Bay. ”

 

CHOPIN – Vous croyez que ça m’intéresse, moi, des articles de ce genre? Je n’aime pas beaucoup le capitalisme, aussi bien vous le dire. Et encore moins cette époque de crédit et d’endettement dans laquelle tout le monde vit. L’autre jour, j’ai vu quelqu’un acheter mon deuxième concerto pour piano avec des points récompenses. Quelle insulte à la volupté!

 

MOZART – Oui je sais. On fabrique des violoncelles en fibre de verre et les touches des pianos sont en plastique.

 

CHOPIN, découragé – À quand la prochaine diligence pour Paris? 

 

MOZARTQuoi? Oh, Chopin, vous n’allez pas nous quitter? Ça me briserait le cœur. Je suis tellement amoureux de votre musique! Elle parle du chagrin et de la joie, et de ces sentiments qui hésitent toujours entre les deux. Depuis que vous habitez cette pension, j’ai trouvé mon âme-sœur.

 

CHOPINEt moi j’ai toujours aimé Mozart. Du reste, qui voudrait de moi ailleurs qu’ici? La vulgarité me résiste. La noblesse et l’aristocratie ne sont plus ce qu’elles étaient. Et puis, je n’ai pas vraiment envie de retourner au Père-Lachaise. Même si l’ange qui pleure sur ma tombe doit se sentir bien abandonné.

 

MOZART,  jetant des enveloppes dans la déchiqueteuse – Vous au moins, vous avez un cimetière. Moi, si je devais partir, je ne saurais même pas où aller.

 

CHOPIN – Qu’est-ce que vous faites?

 

MOZART – Ce sont des lettres sans importances. Madame Dora elle-même les destine au recyclage. Elle dit que les publicités ne méritent pas mieux que ça. (Tâtonnant une enveloppe.) Par contre, ceci, ça ressemble à des billets d’opéra.

 

CHOPIN – Qu’est-ce qui vous fait dire ça?

 

MOZART – Le pif! Et regardez: AVIS IMPORTANT.

 

CHOPIN – Depuis quand les billets d’opéra sont-ils livrés dans des enveloppes de compagnies d’électricité?

 

MOZART – Cela fait aussi partie de l’époque dans laquelle on vit. L’électricité finance la culture. (Il ouvre l’enveloppe, et se met à lire. Soudain, son expression change.) Oh mon Dieu…

 

CHOPIN – Quoi donc?

 

MOZART – “Ceci est notre dernier avertissement.  Selon nos dossiers, les montants ci-hauts sont dus depuis le 12 du 10 du 14 et totalisent la somme de … (Il écarquille les yeux et montre la lettre à Chopin). À défaut d’une entente entre Madame Dora Loen et notre bureau de recouvrement, nous nous verrons dans l’obligation d’interrompre les services suivants sans autre préavis à compter du 31 décembre prochain. Éclairage, téléphone, internet, chauffage…” Le 31 décembre? Mais c’est aujourd’hui!

 

CHOPIN – Qui aurait dit que Madame Dora Loen ne payait pas ses factures? À moins que … (ses yeux vont du courrier au bac de recyclage)…  Amadeus! Vous n’y seriez pas un peu pour quelque chose?

 

MOZART –  Moi? Que voulez-vous dire? (Comprenant soudain.) J’aurais détruit des factures?

 

CHOPIN – Imaginez les conséquences!

 

Mozart – Mon Dieu… La misère … La faim, la pauvreté… Madame Loen qui est si bonne pour nous tous … De quoi va-t-elle se nourrir ? Et si on nous coupe le chauffage, imaginez le froid… Nous, nous sommes habitués, nous avons vécu cela, mais elle, notre bienfaitrice, est-ce qu’elle va survivre?

 

CHOPIN – Laissez-moi réfléchir. À quelle heure revient-elle?

 

MOZART – Elle devrait rentrer d’une minute à l’autre. Elle est allée chercher un visiteur de marque, et n’a pas voulu nous en dire plus.

 

CHOPIN – Ce fameux visiteur… Qui ça peut bien être, d’après vous?

 

MOZART (haussant les épaules) – J’ai interrogé tout le monde. J’aime même demandé au cuisinier. Tout ce que j’ai réussi à savoir, c’est que Madame Loen et son visiteur de marque seront à chaque bout de la grande table du réveillon.

 

CHOPIN – Espérons qui y aura du courant… Quelle heure est-il?

 

MOZART – Il passe huit heures.

 

CHOPIN – Et moi qui suis en retard ! Je dois appeler les musiciens. Pourtant,  je n’ai pas vraiment le cœur à la joie… Allez voir s’il n’y a pas d’autres d’autres mauvaises nouvelles dans le courrier. Et surtout, ne faites plus rien disparaître.

 

MOZART – Ce serait pourtant la solution.

 

CHOPIN – Amadeus ! Nous n’avons pas le droit de détruire le courrier de Madame Loen. À présent que le mal est fait, pas un mot à personne. (À voix haute, pour appeler les autres musiciens) – Allons, messieurs dames, il est huit heures!

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ACTE I

 

 

SCÈNE 1

 

 

Chopin, Valse pour piano opus 69 No 1

 

Mozart se retire avec le courrier. Chopin se met au piano et joue la Valse de l’Adieu, sur laquelle les musiciens de l’orchestre sont gracieusement convoqués. Les femmes, vêtues de noir, s’attardent autour de Chopin; certaines ne peuvent résister au plaisir de frôler le compositeur dans une atmosphère de séduction. À l’arrivée de quelques hommes, des couples se forment et valsent entre le piano et l’orchestre où graduellement les instrumentistes vont s’asseoir en attendant l’arrivée du maestro.

 

Sur les derniers accords de la valse, ce dernier prend place au pupitre et se tourne vers Chopin.

 

CHOPIN – Ne faites pas attention à mon air mélancolique. L’heure est pourtant aux réjouissances, je le sais, et quand nous serons à table tantôt, je vous promets que je serai d’une meilleure compagnie. En attendant, reprenons, si vous le voulez bien, mes Variations sur un thème de Mozart. Je n’étais pas très satisfait de l’introduction hier soir. Allons-y doucement. Je vous dirai seulement deux mots: “inquiétude”, et “espérance”.

 

Chopin, Variations sur “La ci darem la mano” de Don Giovanni de Mozart.

 

Pendant l’exécution (introduction et variations à déterminer), Dora Loen entre silencieusement en faisant passer son invité de marque. Il s'agit de Gioachino Rossini. Les deux se recueillent en écoutant. Quelqu’un vient prendre les manteaux;  Dora et Rossini prennent place dans des fauteuils.

À la fin d’une des variations, on entend, de très loin, un coup de pistolet. Aussitôt, Mozart accourt.

 

MOZART, entrant – Voilà que ça recommence !

 

CHOPIN – Pour l’amour du ciel !

 

DORA LOEN Ah non ! Pas encore ?

 

MOZART – Ça provient de l’étage des Russes. Monsieur Glinka doit avoir un pistolet en réserve, parce que j’avais confisqué celui de Monsieur Borodine.

 

DORA– Combien de fois dois-je le répéter ? Il est interdit de jouer à la roulette russe chez moi ! Ce serait terrible si on venait à savoir qu’il y a des armes à feu dans ma maison.

 

MOZART – Il paraît que c’est une tradition le 31 décembre: vodka, et pif-paf ! Mais n’ayez pas peur, leurs pistolets sont chargés à blanc.

 

CHOPIN – Je vous dis qu’il en font du tapage ces Russes. En descendant tout à l’heure,  j’ai croisé Rimski-Korsakov. Il titubait tellement qu’il aurait pu débouler l’escalier.

 

MOZART – À quatre heures, ils étaient tous déjà soûls.

 

DORA – Messieurs, messieurs, allons mes amis. Exactement ce qu’il aurait fallu éviter pour accueillir le grand Gioachino Rossini.

 

Enthousiasme général.

 

MOZART – Ah !!! Rossini! Je vais enfin m’entretenir avec un compositeur qui a écrit quarante opéras!

 

 

 

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