100Re://T7190[EauN/Tzara/Dervu/Bp73o - Sanctuaire] post. 17-08-21 13:39:25

J’entre dans un sanctuaire.

J’entre dans un monastère.

J’entre dans un cercle.

J’entre dans une danse.

J’entre dans une époque de l’existence où les choses ne seront jamais plus comme avant. Je pourrais tout aussi bien dire : j’entre dans un marais, un océan, un texte, un conflit.

Et toi ? D’où sors-tu ?

100Re://T7190[EauN/Tzara/Dervu/Bp73o - Sanctuaire] post. 17-08-21 13:41:52

Je sors d’un marasme, d’une querelle, d’un chapitre marquant de mon manuscrit. Je sors de la douche, de l’hôtel, de l’épicerie, de la guerre, je sors bafoué du conflit où tu viens d’entrer, je sors la rondelle du filet, d’un geste colérique, au comble du dépit, je crache, je vomis. Je ne parviens pas à sortir élégamment de quoi que ce soit. En ceci, j’appartiens, que je le veuille ou non, à ma civilisation.

100Re://T7190[EauN/Tzara/Dervu/Bp73o - Sanctuaire] post. 17-08-21 13:46:36

Avez-vous déjà lu l’entrée des troupes de Napoléon dans Milan sous la plume enflammée de Stendhal? Une entrée, dans la vie, au théâtre, dans le monde, dans une ville, dans un territoire, est un événement, une ouverture temporelle, spirituelle, même si je ne fais que passer par le tourniquet pour attraper le métro. Toute entrée me destine à un pan du futur, en marque l’inauguration, toute inauguration est une cérémonie. Toute cérémonie est un sacre.

L’enfant reçoit l’hostie faisant entrer le corps du Christ en lui. Dans une autre culture, primitive ou contemporaine, toute expérience initiatique marquant la conscientisation de l’être à la vie impliquera l’entrée de quelque chose en elle ou en lui.

L’homme assure la survie de son espèce en se faisant entrer dans le corps d’une femme.

L’athlète mène son pays vers l’or en faisant entrer le ballon dans le filet.

Tout ce qui vit, coexiste, bouge, pense, participe au concept fondamental de la pénétration, lié au principe qui lui est indissociable, celui de la réception.

100Re://T7190[EauN/Tzara/Dervu/Bp73o - Sanctuaire] post. 17-08-21 13:52:17

Transportons-nous à n’importe quelle époque de la civilisation et remarquons, pour peu que des normes élémentaires régissent les comportements humains, comment les notions d’attirance et de répulsion façonnent la culture.

Tout ce qui sort sera tabou, caché, excusé, désodorisé, exécré.

Dans cette même société qui tient le moindre éternuement comme un acte - pardonnable soit - mais quand même inélégant, voyez comme tout ce qui entre dans le corps avant d’en être éjecté est, au contraire, à la base de l’existence conviviale. On mange, on boit en société. Du simple geste de lever son verre jusqu’à la sophistication des bienséances et du savoir qui ont fait du besoin primordial de la nutrition des arts comme la gastronomie ou l’œnologie, l’idée même du plaisir s’est raffinée jusqu’à la nécessité du banquet, de la frairie, de la jouissance : tout ce qui entre est événementiel, que ce soit dans un banquet de mariage ou sur un terrain de golf où, pour être glorifiée, la balle devra le plus directement possible se loger dans son trou.

C’est pourquoi, aussi, l’épreuve de naître, qui procède d’une sortie, d’une expulsion, d’un passage d’un état de sécurité à un territoire sec et violent, qui constitue d’emblée la plus terrible menace à la vie, s’associe presque à de l’horreur.

J’ai toujours préféré y voir, en me positionnant à l’intérieur du fœtus sur le point d’accéder au monde, comme une entrée.

Pour éviter que la société, à commencer par ses parents, le traite comme un excrément.

Pour éviter que l’enfant se sente comme un aliment qui, pour s’épanouir quelque part dans ce qu’il convient déjà d’appeler la vie, devra se faire avaler.

 

 

 

 

 

Topic 71908808

DH//808Re://T7190 [Tzara - Objets]post. 22-01-17 12:40:32

 

OBJETS RETROUVÉS

 

Textes de 2015 longtemps recherchés pour écrire le 100e topic intitulé Sanctuaire en 2017 (texte ci-haut).

 

Donc ce texte produit par Tzara est une reconstitution de mémoire d'un texte perdu. Il a été retrouvé en janvier 2022, négligeamment remisé dans une filière appelée Agatha Christie, filière qui contenait aussi un autre texte, lui-même consistant en un exercice de mémorisation sans souvenir précis de sa matrice.

 

Voici ces deux retrouvailles:

 

La pensée, l’émotion, appelons ça la vie, la nature humaine, bref, l’humanité démontre beaucoup plus d’intérêt pour ce qui entre que pour ce qui sort. “Ce”, ce peut être ce qu’on veut, mais plus précisément les êtres humains dans des situations concrètes. On entre dans une maison. On pénètre dans un lieu. On entre dans un théâtre. On entre dans un livre. Si on en sort, c’est que c’est fini, qu’à part la rétrospection, ça n’offre plus tellement de possibilité. Sortir est évasif, on sort pour s’aérer, se changer les idées. Mais on entre pour les consolider, comme dans un temple, une église, une mosquée. On entre dans une barque.

 

On crie de joie, quand une équipe gagne pour avoir entré une rondelle dans un filet, un ballon dans un panier, on applaudit le golfeur qui entre la balle dans une cavité conçue exprès pour l’accueillir; l’arène est la chambre où le baiseur va entrer dans l’orifice béni qui le réclame, le lieu somptueux, le bassin d’eau pure, si intacte qu’on doute qu’elle soit visible, avant que le plongeur n’y entre si violemment et à la fois si délicatement qu’il en récoltera du bronze ou de l’argent ou de l’or. La joie, le sport, l’amour, l’art: tout cela est contenu dans le verbe "entrer".

 

Ce qui entre atteint des dimensions virtuoses. Notre drôle d’humanité, si pudique sur la question de l’évacuation (de façon générale, on s’excuse quand on éternue, quand on pète, on “demande” la “permission” d’utiliser les toilettes) tient à distance la nécessité, et la satisfaction, biologiques de l’extraction. Mais le fait d’alimenter nos fonctions vitales, qui obéit à une loi primitive impliquant prédation, boucherie, carnage, sans parler des modalités biologiques nécessitant mâchage et déchiquetage, des bruits parfois inopportuns, de la trituration, des échanges de fluides, de gaz et d’enzymes, des odeurs parfois persistantes suite à une absorption de denrées épicées, ou d’alcool, est tès vite devenu un art “de vivre”, un sujet de rassemblement. On parle de gastronomie, d’œnologie. Ce sont dans les plus hautes sociétés que les plaisirs de la table sont les plus raffinés. On parle de bien et de séance.

 

La mère la plus tendre, le père le plus aimant, commettent l’erreur – très lourde de conséquence - de penser qu’un nouveau-né “sort” d’un corps humain. L’enfant sera traité en tant que tel. Il est sorti, comme un excrément. Comme un fruit, si on préfère une métaphore moins nauséabonde, mais le fruit qui sort de la fleur sortie de la branche est appelé à pourrir lui aussi.

 

En réalité, l’enfant n’est pas sorti du placenta, il n’est pas sorti des entrailles de la mère. Il y est d’abord entré, et jusqu’au jour de sa naissance, il n’aura appris qu’à entrer, se développer en entrant sa tête chacun de ses membres dans les parois de chair à la fois fusionelles et réticentes, mais dont il teste l’élasticité. Au moment de naître, il n’a encore appris qu’à entrer. Une force le propulse vers un nouveau terrain, inconnu, dans lequel il ne peut qu’entrer. On l’oblige à pousser très fort et on connaît la suite. L’entonnoir, l’étouffement, l’horreur, le changement climatique, l'air froid, la tape qu’il reçoit, suffisamment violente pour déclencher le réflexe de la respiration, les oh et les ah des êtres qui le voient arriver, étonnamment volumineux à ses tympans, les odeurs, - obligé d’entendre, comme il sera, quelques heures après, obligé de voir.

 

L’horreur du sortir. Sortir, même d’un deuil, laisse pénétrer l’effroi. Le sortir de n’importe quel projet est un deuil, que ce soit d’une affaire agréable ou d’un cauchemar.

 

 

 

 

Topic 71908809

DH//809Re://T7190 [Jeth - Objet]post. 22-01-17 13:33:25

 

BIBLIOTHÈQUE

(OBJETS RETROUVÉS - 2)

 

Traduction de mémoire de l'incipit du roman d'Agatha Christie: Un cadavre dans la bibliothèque.

 

Souvenir d'Agatha Christie

 

 

Récrit de mémoire, avant de rouvrir Un cadavre dans la bibliothèque*, été 2015.

 

* Titre original: The body in the library. (NdT)

 

 Mrs. Bantry rêvait. Ses pois de senteur remportaient le premier prix à l’exposition florale. Le pasteur Pennywater, revêtu de sa soutane et de son surplis, distribuait les rubans dans l’église. Son épouse traversait nonchalamment l’auguste assemblée en maillot de bain, mais, par un bonheur unique aux songes, cette inconvenance ne soulevait pas chez les paroissiens la désapprobation qu’elle eût sûrement déclenché dans la réalité.

Dieu qu’elle chérissait ses rêves, Mrs Bantry ! Ceux, surtout, qu’elle faisait à l’aube, peu avant d’accéder à la conscience du matin, où des bruits familiers, pas discrets de l’impeccable gouvernante dans l’escalier, tringles des sistres tintant parmi les cintres, froissements du taffetas de la robe de chambre que cette chère Miss Humpfrey déposait sur le grand fauteuil victorien à la droite du lit, cuillers à thé délicatement posée dans la soucoupe, avec le baume exotique de l’infusion qui doucement s’insinuait jusque dans le parfum de l’oreiller, ces merveilles sensorielles qui allaient faire passer Mrs. Bantry de son sommeil à son état diurne, tout en douceur, tout en nuance, quoique ce matin-là… assurément quelque chose clochait dans l’esprit de la dormeuse. Elle se dressa dans son lit.

Certes, c’était bien le pas de Miss Humpfrey, mais si lourdaud, et si rapide, plus qu’à l’ordinaire; elle ne pouvait pas escalader le grand escalier en apportant le thé, elle aurait tout renversé.

C’est à peine si elle frappa, puis les portes s’ouvrirent violemment, à un tel point que Mrs Bantry resta tétanisée en voyant l’air ahuri de la pauvre gouvernante. Celle-ci se tenait chancelante, une main tremblante appuyée contre la moulure, l’autre, fermement serrée sur sa mâchoire pour l’empêcher de crier.

- Pour l’amour du ciel, que vous arrive-t-il, ma chère?

Mrs. Humpfrey répondit en vociférant:

- Un corps ! Mon Dieu ! Il y a … un corps… dans la librairie !

- Un … quoi ?

- Un corps ! Il y a un corps dans la librairie. Euh, je veux dire…

Mrs. Bantry contempla longuement sa gouvernante déconfite à la manière d’une sourde qui cherche à lire sur les lèvres de son interlocutrice.

- Un corps… Mais vous voulez probablement dire, mon Dieu, un cadavre. Mais où ça? Dans… la… librairie ?

 Avait-on jamais opéré de librairie à Styles ? Question jadis débattue mais perdue depuis longtemps, dans la poussière des années enfuies. Le vieux bâtiment avait été annexé à la résidence cossue des Bantry, et transformé en serre, puis, après la construction d’une serre beaucoup plus spacieuse et plus moderne, il avait été restauré en bibliothèque, retrouvant ainsi sa vocation première.

 Le colonel Bantry, que toute cette agitation avait fini par réveiller pour de bon, grommela à l’oreille de son épouse:

- À quoi rime ce tapage ? N’y a-t-il pas moyen de dormir en paix dans cette maison ?

- Je dois retourner dans la rotonde, interrompit Miss Humpfrey d’une voix blême. Surgeon a alerté la police.

- La police… mon Dieu…

- La police, répéta le colonel incrédule.

Il marmonna encore quelques mots mais ne trouvant guère de logique entre les idées qui s’entrechoquaient dans sa tête à moitié réveillée, il bascula sur le côté et se rendormit.

 Restée seule éveillée, Mrs. Bantry se persuada que tout ce qu’elle venait de voir et entendre était, encore une fois, l’absurde résultat d’un rêve, et qu'avec le cerveau alambiqué d'une romancière, elle aurait pu, ma foi, l'écrire au "je" sans ambages, ni égards au fait qu'elle en était peut-être la victime ou la meurtrière.

 

 

 

 

Topic 71908860

DH//860Re://T7190 [Rova/Indi/Isat/Ange/Dres/Hero/Magg/Judd - Épitre]post. 22-05-05 08:55:18

 

Epístola

 

 

ROVANDH

A criança nasce, faz coisas ruins, passa pela adolescência, não termina de sobreviver. É o essencial de sua vida, que fornece a existência desde o dia em que, ainda antes da escola, aprendeu a ler. Foi ensinado a escrever. Confrontou-se com o enigma das letras, moldadas, depois em cadernos, rompeu com a complexidade das formas.

 

INDIEDH

Transcreveu em linhas duplas a ginástica das vogais, que começa a detestar, a falsa simplicidade dos os e dos i, os a inspiram-lhe ideias do alfabeto só ódios maternos, assaltos à sua liberdade, odeia a canção de pássaros, antes de uma noite, oh a aparição!

 

ISATIS04

Adormeceu com a ilusão de saber escrever e de conseguir ele mesmo pegar histórias e colocá-las em seu caderno. Contamos a ele, lemos para ele, mas ele odeia não poder ele mesmo virar as páginas dos livros que começa a aprender, sempre os mesmos, para poder, ó poder, localizar as passagens onde ele aprendeu sozinho que uma página deve ser virada.

 

ANGELOTTA

O que ele faz, despertando a admiração de sua família, sua memória já está incorporada ao mistério de um pensamento que se tornou uma história, depois um livro, depois uma estante, depois uma biblioteca inteira onde ele sabe navegar como um explorador por interferindo nas reviravoltas do incompreendido, ele é apanhado para sempre.

 

DRESSCODE

O que ele odiava nas cartas de A a Z amenizou com a chegada da primavera e os últimos dias de aula. Ele passará o verão decodificando histórias, tornando-as luminosas para si mesmo, associando o cheiro do papel à mão que segura o livro e o entrega, à mão que o alimenta, à falta de jeito de seus primeiros impulsos.

 

HERO

É ele, a Besta, que jaz na noite opaca da Bela, que foi o primeiro a se reconhecer, que já tem nele a esperança da estupidez, tanto que não acredita mais naqueles que o amam por sua inteligência. É ele, a fera hedionda enrolada no fundo de uma jaula no zoológico de Granby, onde as pessoas correm para vê-lo, esperando que ele acorde de um sono interminável para saborear o medo que inspiro.

 

MAGGIK

Adormeço todas as noites como um leão, um leopardo, um felino que se cala no silêncio imóvel de sua pelagem brilhante, que mal se digna de entreabrir um olho para reconhecer entre as crianças que tanto gostariam de vê-lo crescer dez vezes enquanto ruge, ele não está em algum lugar entre alguns adultos ensinando-lhe paciência.

 

JUDDAE

Esta criança se vê dormindo na sombra sob os olhos decepcionados dos visitantes, o tigre de Bengala não se dignará a fazer essa honra, o Leão de Bangor não se revelará, se você quer ver um animal rindo de sua dignidade, vá e encontre-o em um livro, você verá como é edificante, o bode de Monsieur Seguin.

 

 

100Re://T7190[EauN/Tzara/Dervu/Bp73o - Sanctuaire] post. 17-08-21 13:39:25

J’entre dans un sanctuaire.

J’entre dans un monastère.

J’entre dans un cercle.

J’entre dans une danse.

J’entre dans une époque de l’existence où les choses ne seront jamais plus comme avant. Je pourrais tout aussi bien dire : j’entre dans un marais, un océan, un texte, un conflit.

Et toi ? D’où sors-tu ?

100Re://T7190[EauN/Tzara/Dervu/Bp73o - Sanctuaire] post. 17-08-21 13:41:52

Je sors d’un marasme, d’une querelle, d’un chapitre marquant de mon manuscrit. Je sors de la douche, de l’hôtel, de l’épicerie, de la guerre, je sors bafoué du conflit où tu viens d’entrer, je sors la rondelle du filet, d’un geste colérique, au comble du dépit, je crache, je vomis. Je ne parviens pas à sortir élégamment de quoi que ce soit. En ceci, j’appartiens, que je le veuille ou non, à ma civilisation.

100Re://T7190[EauN/Tzara/Dervu/Bp73o - Sanctuaire] post. 17-08-21 13:46:36

Avez-vous déjà lu l’entrée des troupes de Napoléon dans Milan sous la plume enflammée de Stendhal? Une entrée, dans la vie, au théâtre, dans le monde, dans une ville, dans un territoire, est un événement, une ouverture temporelle, spirituelle, même si je ne fais que passer par le tourniquet pour attraper le métro. Toute entrée me destine à un pan du futur, en marque l’inauguration, toute inauguration est une cérémonie. Toute cérémonie est un sacre.

L’enfant reçoit l’hostie faisant entrer le corps du Christ en lui. Dans une autre culture, primitive ou contemporaine, toute expérience initiatique marquant la conscientisation de l’être à la vie impliquera l’entrée de quelque chose en elle ou en lui.

L’homme assure la survie de son espèce en se faisant entrer dans le corps d’une femme.

L’athlète mène son pays vers l’or en faisant entrer le ballon dans le filet.

Tout ce qui vit, coexiste, bouge, pense, participe au concept fondamental de la pénétration, lié au principe qui lui est indissociable, celui de la réception.

100Re://T7190[EauN/Tzara/Dervu/Bp73o - Sanctuaire] post. 17-08-21 13:52:17

Transportons-nous à n’importe quelle époque de la civilisation et remarquons, pour peu que des normes élémentaires régissent les comportements humains, comment les notions d’attirance et de répulsion façonnent la culture.

Tout ce qui sort sera tabou, caché, excusé, désodorisé, exécré.

Dans cette même société qui tient le moindre éternuement comme un acte - pardonnable soit - mais quand même inélégant, voyez comme tout ce qui entre dans le corps avant d’en être éjecté est, au contraire, à la base de l’existence conviviale. On mange, on boit en société. Du simple geste de lever son verre jusqu’à la sophistication des bienséances et du savoir qui ont fait du besoin primordial de la nutrition des arts comme la gastronomie ou l’œnologie, l’idée même du plaisir s’est raffinée jusqu’à la nécessité du banquet, de la frairie, de la jouissance : tout ce qui entre est événementiel, que ce soit dans un banquet de mariage ou sur un terrain de golf où, pour être glorifiée, la balle devra le plus directement possible se loger dans son trou.

C’est pourquoi, aussi, l’épreuve de naître, qui procède d’une sortie, d’une expulsion, d’un passage d’un état de sécurité à un territoire sec et violent, qui constitue d’emblée la plus terrible menace à la vie, s’associe presque à de l’horreur.

J’ai toujours préféré y voir, en me positionnant à l’intérieur du fœtus sur le point d’accéder au monde, comme une entrée.

Pour éviter que la société, à commencer par ses parents, le traite comme un excrément.

Pour éviter que l’enfant se sente comme un aliment qui, pour s’épanouir quelque part dans ce qu’il convient déjà d’appeler la vie, devra se faire avaler.

100Re://T7190[EauN/Tzara/Dervu/Bp73o - Sanctuaire] post. 17-08-21 13:39:25

J’entre dans un sanctuaire.

J’entre dans un monastère.

J’entre dans un cercle.

J’entre dans une danse.

J’entre dans une époque de l’existence où les choses ne seront jamais plus comme avant. Je pourrais tout aussi bien dire : j’entre dans un marais, un océan, un texte, un conflit.

Et toi ? D’où sors-tu ?

100Re://T7190[EauN/Tzara/Dervu/Bp73o - Sanctuaire] post. 17-08-21 13:41:52

Je sors d’un marasme, d’une querelle, d’un chapitre marquant de mon manuscrit. Je sors de la douche, de l’hôtel, de l’épicerie, de la guerre, je sors bafoué du conflit où tu viens d’entrer, je sors la rondelle du filet, d’un geste colérique, au comble du dépit, je crache, je vomis. Je ne parviens pas à sortir élégamment de quoi que ce soit. En ceci, j’appartiens, que je le veuille ou non, à ma civilisation.

100Re://T7190[EauN/Tzara/Dervu/Bp73o - Sanctuaire] post. 17-08-21 13:46:36

Avez-vous déjà lu l’entrée des troupes de Napoléon dans Milan sous la plume enflammée de Stendhal? Une entrée, dans la vie, au théâtre, dans le monde, dans une ville, dans un territoire, est un événement, une ouverture temporelle, spirituelle, même si je ne fais que passer par le tourniquet pour attraper le métro. Toute entrée me destine à un pan du futur, en marque l’inauguration, toute inauguration est une cérémonie. Toute cérémonie est un sacre.

L’enfant reçoit l’hostie faisant entrer le corps du Christ en lui. Dans une autre culture, primitive ou contemporaine, toute expérience initiatique marquant la conscientisation de l’être à la vie impliquera l’entrée de quelque chose en elle ou en lui.

L’homme assure la survie de son espèce en se faisant entrer dans le corps d’une femme.

L’athlète mène son pays vers l’or en faisant entrer le ballon dans le filet.

Tout ce qui vit, coexiste, bouge, pense, participe au concept fondamental de la pénétration, lié au principe qui lui est indissociable, celui de la réception.

100Re://T7190[EauN/Tzara/Dervu/Bp73o - Sanctuaire] post. 17-08-21 13:52:17

Transportons-nous à n’importe quelle époque de la civilisation et remarquons, pour peu que des normes élémentaires régissent les comportements humains, comment les notions d’attirance et de répulsion façonnent la culture.

Tout ce qui sort sera tabou, caché, excusé, désodorisé, exécré.

Dans cette même société qui tient le moindre éternuement comme un acte - pardonnable soit - mais quand même inélégant, voyez comme tout ce qui entre dans le corps avant d’en être éjecté est, au contraire, à la base de l’existence conviviale. On mange, on boit en société. Du simple geste de lever son verre jusqu’à la sophistication des bienséances et du savoir qui ont fait du besoin primordial de la nutrition des arts comme la gastronomie ou l’œnologie, l’idée même du plaisir s’est raffinée jusqu’à la nécessité du banquet, de la frairie, de la jouissance : tout ce qui entre est événementiel, que ce soit dans un banquet de mariage ou sur un terrain de golf où, pour être glorifiée, la balle devra le plus directement possible se loger dans son trou.

C’est pourquoi, aussi, l’épreuve de naître, qui procède d’une sortie, d’une expulsion, d’un passage d’un état de sécurité à un territoire sec et violent, qui constitue d’emblée la plus terrible menace à la vie, s’associe presque à de l’horreur.

J’ai toujours préféré y voir, en me positionnant à l’intérieur du fœtus sur le point d’accéder au monde, comme une entrée.

Pour éviter que la société, à commencer par ses parents, le traite comme un excrément.

Pour éviter que l’enfant se sente comme un aliment qui, pour s’épanouir quelque part dans ce qu’il convient déjà d’appeler la vie, devra se faire avaler.